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Michel J. Cuny - Eléments d'analyse de l'économie et des finances mondiales
27 mai 2014

35 - Stérilité du travail humain

   Dans  l'économie  selon  les  physiocrates,  l'activité  agricole  se caractérise par ce fait qu'elle est la seule à laisser, au-delà des frais qu'elle occasionne (outils de production et salaires revenant au travail), ce surplus que Quesnay désigne du terme de "produit net". C'est celui-ci qui constitue le revenu de la classe des propriétaires : le souverain, la noblesse terrienne et le clergé. Or, ce produit net émane de l'activité de la "classe productive", dont le même Quesnay nous dit qu'elle est "celle qui fait renaître par la culture du territoire les richesses annuelles de la nation, qui fait les avances des dépenses des travaux de l'agriculture, et qui paye annuellement les revenus des propriétaires des terres."

   Dernier terme du trio qui constitue l'essentiel de la vie économique d'un pays : la "classe stérile". En quoi peut bien consister ce degré zéro de la dimension économique? Quesnay nous répond : "La classe stérile est formée de tous les citoyens occupés à d'autres services et à d'autres travaux que ceux de l'agriculture, et dont les dépenses sont payées par la classe productive et par la classe des propriétaires qui eux-mêmes tirent leurs revenus de la classe productive."

   Réduit à l'essentiel, le circuit économique tel que le perçoivent les physiocrates donne toute sa dimension au "pouvoir de la nature", le travail humain n'ayant pas d'autre vertu que de produire l'équivalent de ce qu'il coûte et de ce que coûtent les outils qu'il utilise. Au-delà de quoi, lui ne laisse rien, c'est-à-dire aucun "produit net".

   Ainsi, à la différence des produits issus des biens-fonds (produits directement nés de la nature, et indirectement de la bonté du Créateur), la part prise, dans la production, par le travail humain, ne sert qu'à rembourser les dépenses nécessaires. Selon ce que Quesnay affirme : "Les ouvrages de main-d'oeuvre exigent de la part de ceux qui les fabriquent des dépenses et des frais qui sont égaux à la valeur de ces ouvrages. Il en est de ces frais comme de ceux de la culture qui nourrissent les ouvriers de la campagne : ceux qui les gagnent les dépensent pour leurs besoins, les laboureurs qui les paient les retirent sur les produits de la culture. Ces frais sont en même temps une richesse et une dépense : une richesse parce qu'ils nourrissent ceux qui les gagnent, une dépense parce que cette richesse est enlevée à ceux qui les paient et qu'ils sont consommés par ceux qui les gagnent. Ainsi, ces frais ne peuvent se perpétuer par eux-mêmes : ils naissent des biens-fonds par le travail des hommes."

   Avant donc que le travail humain puisse produire l'équivalent de ce qu'il coûte, la nature doit avoir offert les avances nécessaires, à travers le "produit net" dont elle est seule à détenir les clefs. Pour sa part, uniquement capable de répéter ce qu'il coûte en subsistances, le travail est stérile, selon les physiocrates, sauf dans l'agriculture, où cette stérilité est masquée par l'activité de la bonté du Créateur, par le biais du miracle permanent réalisé par la nature.

   François Quesnay nous donne ici le circuit complet qui assure la pérennité du système économique tel qu'il le comprend : "Les travaux d'industrie produisent les ouvrages nécessaires aux besoins et aux commodités de la vie ; ces ouvrages ne sont des richesses pour ceux qui les fabriquent, qu'autant qu'ils sont payés par ceux qui les achètent. Il faut donc que ceux qui les achètent aient des richesses pour les payer ; or ces richesses ne peuvent venir que des profits, ou revenus que produisent les biens-fonds ; car il n'y a que les produits des biens-fonds qui soient des richesses primitives, gratuites, toujours renaissantes et avec lesquelles les hommes paient toutes les choses qu'ils achètent."

   Contradiction totale avec ce que nous avons vu chez John Locke quelques décennies plus tôt... Et vogue soudaine de la physiocratie dans le royaume de France, une trentaine d'années avant la Révolution de 1789!... Vogue, d'ailleurs, aussi soudaine que brève.

 

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