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Michel J. Cuny - Eléments d'analyse de l'économie et des finances mondiales
10 juin 2014

23 - La fable des "honnêtes gens"

  Au-delà du temps où, selon John Locke, le produit revenait intégralement à celui qui, par son travail, en avait obtenu l'usage, s'ouvre une seconde période que le philosophe écossais nous décrit ainsi : "À présent que la propriété ne porte plus, au premier chef, sur les fruits de la terre et les bêtes qui y vivent, mais sur la terre elle-même, en tant que celle-ci inclut et comporte tout le reste, il me paraît clair que cette propriété, elle aussi, s'acquiert comme la précédente. La superficie de terre qu'un homme travaille, plante, améliore, cultive et dont il peut utiliser les produits, voilà sa propriété. Par son travail, peut-on dire, il l'enclôt et la sépare des terres communes."

   Le travail, encore le travail, toujours le travail... roi.

   Le précepte d'origine est donc respecté : "Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front"... Eh bien, d'accord!... Mais, pour que la propriété de la terre ait pu se développer d'une façon aussi paisible, encore fallait-il que le Dieu créateur y ait mis du sien en offrant à profusion le sol cultivable "libre". Dans ce cas, en effet, comme l'écrit John Locke : "Nul autre ne pouvait être lésé par celui qui s'appropriait ainsi une parcelle quelconque de terre en l'améliorant, car il en restait assez d'une qualité aussi bonne, et même plus que ne pouvaient utiliser les individus qui n'étaient pas encore pourvus."

   Nous n'avons ainsi toujours pas quitté le communisme primitif de droit divin, mais nous pressentons que l'affaire ne va pas tarder à prendre une tournure plutôt désagréable : le malin s'insinue... Laissons John Locke nous mettre doucement la puce à l'oreille : "Dieu a donné le monde aux hommes en commun : mais, puisqu'il le leur a donné pour leur profit et pour en retirer les commodités de la vie, autant qu'ils en étaient capables, on ne saurait imaginer qu'il ait souhaité voir le monde toujours indivis et inculte. Il l'a donné, pour s'en servir, à l'homme d'industrie et de raison, à qui son travail devait servir de titre et non, pour satisfaire son caprice ou sa cupidité, à l'homme querelleur et chicanier."

  C'est vrai, quoi!... Décidément c'est partout et toujours pareil : il y a ceux qui travaillent et ceux qui ne veulent rien faire, ou qui font si mal le peu qu'ils s'avisent de faire! Si le travail est roi, le travailleur l'est aussi, et le fainéant n'a qu'à s'en prendre à lui-même de n'obtenir rien de rien!... C'est ainsi que John Locke devient tout à coup le porte-parole des "honnêtes gens" : "Celui qui avait à sa disposition, pour le faire fructifier, un lot aussi bon que ceux qu'on avait déjà pris, n'avait pas lieu de se plaindre et ne devait pas s'immiscer dans ce que le travail d'autrui avait déjà mis en valeur : sinon, à l'évidence, ce qu'il briguait, sans l'ombre d'un titre, c'était le profit des peines d'autrui et non pas la terre que Dieu lui avait donnée, en commun avec d'autres, pour la travailler ; car les espaces disponibles égalaient la surface déjà prise et dépassaient à la fois les moyens d'utilisation de l'intéressé et le champ de son industrie."

   Conséquemment, c'est parce qu'elle consacrait la prééminence du travail que la propriété privée des moyens de production a pu s'inscrire dans les visées du créateur du ciel et de la terre : "Nous voyons donc qu'il existe un lien entre le fait de venir à bout de la terre ou de la cultiver et l'acquisition du droit de propriété. L'un valait titre pour l'autre. Si bien qu'en donnant l'ordre de dompter les choses, Dieu habilitait l'homme à se les approprier. La condition de la vie humaine, qui nécessite le travail et des matériaux à travailler, introduit forcément les possessions privées."

   En face de quoi le "chômeur", cet homme libre dépourvu de tout outil de production et de sa part de terre nourricière, ne peut s'en prendre qu'à lui-même!... D'où vient qu'il ait déserté le monde du travail, sinon de sa paresse, de ses insuffisances physiques, intellectuelles ou morales... enfin de tout le contraire de ce qui a permis au propriétaire de faire triompher en lui le travailleur tel que Dieu en avait dessiné l'épure dès l'origine des temps...

   Rassurons-nous : John Locke n'est pas aussi naïf qu'il le paraît à ce moment précis... 

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