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Michel J. Cuny - Eléments d'analyse de l'économie et des finances mondiales
11 juin 2014

22 - La cigale et la fourmi

   Dans l'état de nature selon John Locke, le travail est roi... En effet, il ne rencontre rien qui puisse limiter ni la mise en oeuvre de sa capacité de production, ni le contrôle du travailleur sur les résultats de son activité productive.

   Voici donc le travailleur "naturellement" libre, sur fond d'une sorte de communisme primtif : "Bien que la terre et toutes les créatures inférieures appartiennent en commun à tous les hommes, chacun garde la propriété de sa propre personne. Sur celle-ci, nul n'a de droit que lui-même. Le travail de son corps et l'ouvrage de ses mains, pouvons-nous dire, sont vraiment à lui. Toutes les fois qu'il fait sortir un objet de l'état où la Nature l'a mis et l'a laissé, il y mêle son travail, il y joint quelque chose qui lui appartient et, par là, il fait de lui sa propriété."

   La propriété de soi apparaît ici comme déterminant, pour le travailleur, un droit de propriété sur son produit. À l'inverse, le travailleur "libre" du mode capitaliste de production aurait-il perdu son droit de propriété sur le produit de son travail parce qu'il aurait également perdu la propriété d'une part de soi?... Le contrat de travail serait-il, avant tout, ce qui vient masquer la dépossession de cette part perdue de soi?... Mais de quelle part?... Serait-ce de celle qui correspond, pour le travailleur "libéré" de ses moyens de production, à la nécessité de revêtir tout d'abord l'identité du chômeur, ce squelette sur quoi viennent se fixer, pour une durée plus ou moins longue, les oripeaux d'une condition professionnelle qui répond à la nécessité d'obtenir les moyens d'assurer sa subsistance de fourmi?... Et adieu la cigale!...

   Ce qui ne veut pas dire que l'économie en mode "cigale" de production serait affaire de fainéantise. Voici, en tout cas, ce qu'il en est chez John Locke, tant que règne l'état de nature : "Bien que l'eau qui coule à la fontaine soit à tout le monde, qui doute que, dans la cruche, elle n'appartienne à celui-là seul qui l'a tirée? Par son travail, il la prise des mains de la nature où elle restait en communauté, appartenant également à tous ses enfants et, de cette manière, il se l'est appropriée." 

   Immanquablement, été comme hiver (gare au gel, toutefois!) et hiver comme été, dans ce monde "naturel" l'eau coule à la fontaine... Qui pourrait reprocher à la cigale de manquer de prévoyance?

   Ne pas oublier toutefois que, dans cette fiction produite par John Locke pour les besoins de sa démonstration, le service des eaux potables est assuré par un Dieu créateur de toutes choses... et pourquoi donc n'assurerait-il pas aussi la restauration et l'hôtellerie tous frais payés dans des sites plus enchanteurs les uns que les autres?...

   Non, non, nous le savons : même ici, l'être humain doit travailler. Mais il lui est loisible de se mettre aussitôt à son compte, sans qu'aucune concurrence puisse jamais l'obliger à produire plus que ce que lui-même juge absolument nécessaire de consommer. John Locke peut ainsi affirmer en toute sérénité : "Considérant donc l'abondance des provisions naturelles qui ont existé longtemps dans le monde, le nombre restreint des consommateurs et l'impossibilité, pour un homme seul avec toute son industrie, d'atteindre et d'accaparer, aux dépens des autres, plus qu'une infime portion de ces ressources, surtout s'il la limitait à ce qui pouvait lui servir, il faut admettre que la propriété acquise de cette manière ne risquait d'entraîner, à cette époque, que peu de querelles et de différends."

   ... et pas du tout de lutte des classes.

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