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Michel J. Cuny - Eléments d'analyse de l'économie et des finances mondiales
18 mai 2014

44 - Le travail et ses prodiges

   Si,  justement,  nous laissons Adam Smith étendre sa réflexion à l'ensemble de la société, et à la part que celle-ci doit consacrer aux dépenses collectives, nous aboutissons à ceci : "Tous les impôts (et tout revenu fondé sur eux), tous les traitements, pensions et annuités de toutes espèces proviennent fondamentalement de l'une ou l'autre de ces trois sources premières du revenu et sont payés, soit directement, soit indirectement à partir des salaires du travail, des profits du capital ou de la rente foncière."

  Sur la base d'une valeur produite et mesurée par le travail?

   Ou pas?

   Et comment établir scientifiquement la validité de l'une ou de l'autre des options? N'oublions tout de même pas que, selon ce que nous en dit Adam Smith, cela revient à évaluer ce qui se trouve au fondement même de la société capitaliste, et ce qui en conditionne la totalité des revenus, c'est-à-dire la répartition, en son sein, de la totalité des richesses produites.

   Dans la réalité, il arrive fréquemment que ces distinctions ne soient pas aussi tranchées, et que tel ou tel individu puisse très facilement se tromper sur ce que nous appellerions son "appartenance de classe". Voici l'un des exemples donnés par Adam Smith : "Un gentleman qui cultive une partie de son propre domaine devrait gagner après avoir payé les dépenses de la culture, à la fois la rente du propriétaire foncier et le profit du fermier. Il est cependant susceptible de nommer profit tout son gain et ainsi  de confondre rente et profit, du moins dans le langage courant." En voilà un autre : "Le fabricant indépendant qui a assez de capital pour acquérir des matériaux et pour subsister jusqu'à ce qu'il puisse porter son ouvrage au marché devrait gagner à la fois le salaire d'un compagnon qui travaille sous la responsabilité d'un maître et le profit que fait ce maître en vendant l'ouvrage du compagnon. Cependant tous ses gains sont couramment appelés profit, et le salaire, dans ce cas aussi, se confond avec le profit."

   Mais c'est alors que resurgit la très épineuse question de la répartition des trois principales sources de revenus à l'intérieur du prix des produits élaborés en système capitaliste. Comme cela lui arrive parfois, Adam Smith pratique la fuite en avant, et déplace la solution sur un tout nouveau terrain : "Comme dans un pays civilisé il n'y a que peu de marchandises dont la valeur échangeable émane du travail seulement, rente et profit contribuant largement à la valeur de la presque totalité des marchandises, le produit annuel de ce travail est toujours suffisant pour acquérir ou avoir à sa disposition une quantité de travail bien plus grande que celle qui a été employée à élever ou à cultiver, à préparer et à apporter ce produit au marché."

   Cette fois, Adam Smith paraît admettre que le prix dépasse la stricte valeur correspondant à la quantité de travail dépensée lors de la production, de sorte qu'il y aurait une croissance permanente qui serait indépendante du travail fourni de telle ou telle façon...

   Résultat très surprenant puisque cela revient à affirmer que le travail s'accompagne d'une mystérieuse productivité supplémentaire (physiocratie reconvertie) qui explique sans l'expliquer l'apparition, dans le prix de vente, d'une rente et d'un profit venus de nulle part... Ce prodige d'un travail hyper-productif ne semblant pas correspondre à la réalité vécue, Adam Smith n'en démord toutefois pas, et avance une explication qui nous reconduit indirectement à l'oisiveté rémunérée des propriétaires de Quesnay, essentiellement occupés à éponger les effets du "pouvoir de la nature" : "Mais il n'y a pas de pays dans lequel on emploie la totalité du produit annuel à entretenir les personnes industrieuses. Les oisifs en consomment partout une grande partie ; et, selon les différentes proportions dans lesquelles le produit annuel se divise annuellement entre ces deux ordres de personnes, sa valeur ordinaire ou moyenne doit augmenter chaque année, diminuer  ou continuer à être la même d'une année à l'autre."

   Ainsi, ici encore, l'oisiveté ne ferait pas une ponction sur le travail d'autrui...

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