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Michel J. Cuny - Eléments d'analyse de l'économie et des finances mondiales
10 mai 2014

53 - Le capital : un nouveau dieu, créateur de richesses...

   Avant de contester la position prise par Ricardo dans la question du travail comme producteur unique de la valeur d'échange, Jean-Baptiste Say avait corrigé Adam Smith sur l'exemplaire qu'il possédait de la "Richesses des nations". Là où l'Ecossais avait écrit : "Le travail est le seul fondement de la valeur des choses", le Français rétorquait : "Smith se trompe. C'est le pouvoir productif des agents naturels que l'homme force à travailler de concert avec lui qui porte si loin la somme des produits."

   Serions-nous revenus, à travers Jean-Baptiste Say, cinquante années en arrière, à l'époque où les Physiocrates confinaient le travail à la seule restitution de ce qu'il coûte, la richesse nouvelle étant un pur don de la nature (et donc de Dieu)?... Pas tout à fait... Jean-Baptiste Say se contente de nous annoncer la naissance d'une nouvelle... divinité. Nous la découvrons à l'état naissant dans la suite des notes qu'il consacre à la "Richesse des nations".

   En effet, s'il faut compter avec "le pouvoir productif des agents naturels" : "Le produit annuel ne représente donc pas le travail annuel. Il y a donc une production indépendante de celle du travail, qui ne vient d'aucun travail de l'homme, ni ancien ni récent. Or c'est cette partie de la production qu'on doit aux services productifs de la nature et à ceux des capitaux. Donc ils sont agents de la production aussi bien que le travail humain."

   Et surtout, ils méritent d'être rémunérés : travail (salaire), nature (rente) et capitaux (profit)... sont donc frères... et se partagent équitablement les richesses produites... Leur confraternité permet en outre de les ranger sous un intitulé commun : les "services productifs". Ils apparaissent séparément sur le marché, et s'y soumettent en particulier au jeu, tout en délicatesse, de l'offre et de la demande dont Jean-Baptiste Say décrit le principe général dans son "Traité" : "La quantité offerte d'un produit [...] tend constamment à se proportionner à la quantité demandée ; car lorsque les producteurs offrent d'un certain produit plus qu'on demande, ils sont obligés de le céder pour un prix inférieur à celui de ses frais de production ; ce qui porte les producteurs à réduire la quantité produite : et, quand ils en offrent moins, le prix de la chose monte au-dessus de ses frais de production : ce qui porte à en augmenter la production."

   Si le processus se poursuit, l'accroissement de la production ne doit-il pas se traduire par une baisse des prix qui risque de peser sur la rentabilité de l'affaire, le juge de paix étant constitué, semble-t-il par les frais de production? Mais alors, dans ce cas, nous aurions du Smith ou du Ricardo pur jus!...

   C'est d'abord ce que semble écrire Say dans son "Cours" : "Quand les choses valent accidentellement plus ou moins que leurs frais de production, elles sont donc à un prix qui tend sans cesse à reprendre son niveau." Mais le Français se singularise en faisant resurgir à point nommé la fameuse "utilité" que détermine le "désir" de l'acquéreur : "Une fois que les frais de production ont déterminé le taux le plus bas auquel la création d'un produit peut être entreprise et continue, ce même taux, combiné avec l'utilité et avec la richesse des consommateurs, détermine à son tour la quantité de chaque produit que demandera le public, et par conséquent la quantité qu'on en pourra produire avec profit."

   ...avec profit... Voilà, semble-t-il, le meilleur endroit pour faire apparaître, tel qu'il se manifeste dans une lettre à Malthus du 4 septembre 1820, l'agacement de Ricardo à propos de Say : "Qu'est-ce qui peut le pousser à persévérer dans la représentation de l'utilité et de la valeur comme étant la même chose?"

   Ce mystère, qui n'en est pas un, porte le doux nom de... lutte des classes, tout simplement.

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